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Les peintres



Frédéric Hégo
(1974-2020)


Ils n’étaient pas rares, aux siècles passés, dans nos contrées, ces forains fascinants et peu fréquentables : les montreurs de monstres. Ils sillonnaient nos provinces, allaient de ville en ville, exposaient dans les foires, sur les marchés leur femme à barbe, leur hydrocéphale ou leur paire de siamois. On pouvait, pour un sou, venir tour-à-tour se moquer de l’horrible créature, la prendre en pitié, se faire peur comme en face du diable, et repartir soulagé de n’en être pas.

Hélas, ce beau métier a disparu. Comme le dresseur d’ours, le sourcier, la guérisseuse et le chiffonnier, le montreur de monstres a été prié de se retirer de la scène. On l’a mis au rebut, dans les coulisses d’un monde – le nộtre – qui a choisi de ne plus exhiber (autrement dit : de ne plus assumer) sa bizarrerie, son animalité déformée, sa laideur morale et physique, son mystère aux odeurs d’Enfer, – bref : tout ce qui entache son image aux yeux des dieux (et/ou des consommateurs). Un monde mortifère qui, sous le vernis d’une hygiène impeccable, préfère se dissimuler sa propre mort, quitte à devoir censurer toute la vie, plutôt que de s’avouer n’être qu’une création ratée.

Heureusement, quelques artistes isolés, réfractaires au dit vernis, ont régulièrement, jusqu’à aujourd’hui, pris le relais de cette espèce disparue de saltimbanques monstreurs, et pris en charge leur drôle de travail horrible et nécessaire. Notamment les plus habilités d’entre eux à montrer : les peintres. Goya, Schiele, Gillet, Baselitz, Rebeyrolle, Rustin, etc. ont inlassablement représenté (voire mis en scène, en spectacle) l’homme comme un monstre – exactement comme le monstre qu’il est.

Frédéric Hégo est de cette famille-là de peintres. S’il ne peint que des portraits, et s’il insiste à montrer, à mettre en scène la laideur des visages et la difformité des corps, son œuvre relève toutefois moins de la caricature que d’une sorte de freaks parade perpétuelle, où l’avorton le dispute à l’infirme dès lors qu’il s’agit de représenter l’homme. Et si Frédéric Hégo se tourne, exceptionnellement et comme par jeu, vers le règne animal, c’est encore pour le dénaturer, en lui appliquant l’odieuse face humaine. Les belles créatures de Buffon se retrouvent ainsi affublées d’affreuses bobines de bouffons, d’idiots ou de malfrats… Voilà un vrai défilé de monstres « à l’ancienne », exactement celui dont nous pouvons avoir la nostalgie.

Ceci dit, le peintre d’aujourd’hui qu’est Frédéric Hégo n’a certes plus besoin d’hydrocéphale ou de siamois pour constituer sa collection de monstres. Il lui suffit de montrer l’humanité dans sa plus grande banalité. Il peint des visages humains ordinaires, sales et défaits, veules et désolés – toujours le même, jamais le même – avec une férocité comique, une méchante dérision. Et parfois, les corps qui vont avec – disgracieux, mal proportionnés, incomplets. Défilent alors sur la toile, pour notre amusement et notre effroi, les figures les plus abȋmées, les plus repoussantes de l’espèce, à savoir : les plus ordinaires – ou l’espèce mȇme. Gueules de traȋtres, de vaniteux et de médiocres. Clowns macabres, prélats suintants, punks aux dents cassées et autres pauvres types. Fillettes anémiées, pucelles ignobles et pisseuses – parce que même les enfants sont torves et tronqués – même les enfants sont laids à faire peur.

Dans l’œuvre de Frédéric Hégo, l’homme, qu’il se drape de dignité dérisoire ou de vertu crasseuse, est toujours le même, a toujours la même sale gueule pas nette et pas finie, du genre de celles qu’on n'aimerait pas croiser au coin du bois à la tombée de la nuit. Humilité et orgueil ont les mêmes relents de mensonge ressassé, de mauvaise comédie. Et chaque personnage représenté sur la toile est potentiellement (ça se lit dans les yeux) la victime et le bourreau de sa race.

Cet acharnement à peindre l’humanité sous son jour le pire, sous sa forme la plus déchue, la plus désespérante et désespérée, fait forcément froid dans le dos du regardeur (ou du voyeur). En regardant la peinture de Frédéric Hégo, on peut certes commencer par ricaner d’un air complice, en se disant que l’humanité qu’il représente aura bien mérité de se voir si laide en ce miroir. Le ridicule des postures, l’outrance des couleurs, le « mauvais goût » assumé de l’artiste, nous aident à en rire. La cruauté, la mauvaiseté du geste nous servent de revanche – contre l’espèce, à laquelle nous sommes honteux d’appartenir. Mais pour peu que le regard insiste, alors, insidieux, rampant, le malaise s’installe. On frémit à la fin, à l’idée du terrible sérieux et de la nudité sans fard qui se cachent peut-être sous le ton satyrique et résolument provocateur de cette oeuvre. Et si c’était, cette galerie d’horreurs, simplement vrai. Et si c’était notre réalité.

 C. D.



Frédéric Hégo est né en 1974. Il expose régulièrement depuis 1997. Il a illustré deux livres aux éditions fissile :

Paul Verlaine / Cognes & flics suivi de Charles Cros / Aux imbéciles, 2011.

Bryan Delaney  /  Le Cordonnier
 (théâtre), 2011.



Peintures et monotypes de Frédéric Hégo :  [cliquer sur les images pour les agrandir]


"Tête d'ours", monotype de Frédéric Hégo
"Olivier avec un couteau", monotype de Frédéric Hégo
"Personnage avec chariotte", monotype de Frédéric Hégo


"Rouquine des enfers", peinture de Frédéric Hégo "Robert mieux que rien", peinture de Frédéric Hégo



"Milena la pisseuse", peinture de Frédéric Hégo "Jeanne de bon secours", peinture de Frédéric Hégo


"Caniche nu pieds", peinture de Frédéric Hégo



 


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