Ce
n'est pas par l'étonnement que Benjamin Fondane a
commencé.
Ce n'est pas de s'étonner - thaumazein - que sa
pensée s'est développée dans les pages
superbes de Rimbaud le
voyou, de La
Conscience malheureuse, ou de Baudelaire et
l'expérience du gouffre.
Ce sont bien plutôt l'indignation, la stupeur sous l'offense,
la
fureur outrée du scandale, qui constituent sa
tonalité
affective primordiale, le tuf émotionnel de son
expérience et de son oeuvre. Si l'étonnement dans
lequel
la philosophie née en Grèce a trouvé
le
commencement de ses tâches est l'affect qui se
dépasse en
un savoir théorique, et du coup en une sagesse ni partiale
ni
scandalisée, mais raisonnable, par la vertu de laquelle le
Sage,
exemplairement Socrate, peut mourir sans protester, - en revanche les autres
philosophies rien moins que sages, mais aussi impatientes que
débordées, dans lesquelles Fondane s'est reconnu,
celles
de Pascal, de Nietzsche, de Kierkegaard, celle surtout de Chestov - son
maître sans école -, ces pensées
paradoxales qui
cherchent, ou plutôt qui réclament, non pas une
sagesse
mais une issue,
ce n'est certes pas un savoir
qu'elles veulent, bien au contraire : c'est un oubli radical,
l'oubli antérieur à tout savoir, à
tout
souci comme à toute théorie, et qui se nomme la vie. Pour autant
que sa pensée exaspérée d'une
éternelle offense est
demeurée fidèle à son commencement
dans l'indignation et le dépit, dans
l'irrésignation et la révolte, Fondane fut ce
penseur insolite parmi
les insolites, et l'un des plus insolents parmi les solitaires,
extraordinairement fougueux, irréconcilié, qui
n'a jamais cessé de
clamer contre le sort, contre la mauvaiseté du
destin, contre la mort.
...
JÉRÔME
THÉLOT
|
|