L'écrivain
tchèque Richard WEINER (1884-1937)
n'est guère connu en France que par les lecteurs les plus
avertis des poètes du Grand Jeu,
poètes dont il fut
intensément l'Ami mais qui, les premiers,
l'ont assez mal compris, entre autres pour n'avoir pas lu ses livres
(qui
n'étaient pas traduits, ni peut-être traduisibles,
en français). Ce bout de
lorgnette parisienne dont nous disposons est certes
intéressant, puisqu'à n'en
pas douter Weiner avait avec ses jeunes compagnons quelque chose de l'horrible
révélation en partage, et que de ce
partage est née leur amitié convulsive.
Mais ce bout de lorgnette est aussi très insuffisant, quand
il s'agit d'aborder
un sujet aussi complexe, et à ce point inédit
dans la littérature européenne,
que le cas Richard Weiner.
S'il
fallait comparer Richard Weiner à un de
ses contemporains, c'est à Kafka qu'il faudrait penser,
plutôt qu'à Daumal ou
Lecomte. Kafka et Weiner, tous deux juifs tchèques, naissent
à Prague à deux
ans d'écart : ils sont du même milieu, de
la même génération ; ils
arrivent ensemble à l'écriture par le biais de
l'expressionnisme ambiant, puis
l'approfondissent singulièrement, tous deux à
leur manière, qu'ils ont
distincte mais également vertigineuse. Certes, Richard
Weiner, hanté comme il
l'était par l'exploration de l'inconscient, du
rêve et des souvenirs, fut très
attentif lors de ses longs séjours en France aux
expériences surréalistes, et
plus encore, à leur radicalisation métaphysique
chez les poètes du Grand Jeu.
Mais lorsque Weiner explore la vie intérieure, il ne
déambule pas dans un
marché au puces surréaliste, avec ses
encorbellements douteux de parapluies et
de machines à coudre ; il ne prétend pas
non plus faire l'expérience
extasiée de l'Origine-de-Tout à coups de
morphine ; il ressemble bien plus,
par son osbtination sourde et sa nudité panique, par sa
dureté et sa
vulnérabilité extrêmes,
conjuguées dans une même innommable décision,
qu'il faut peut-être qualifier de morale, à
l'animal sans nom du Terrier
de Kafka.
Cette
exploration des confins de l'intérieur,
de leur frontière toujours trouble, voire fragile avec le
réel, de cet endroit
de la conscience où les « perceptions
sont doubles » et où la Raison
perd ses appuis, Richard Weiner la pousse jusqu'à son point
de crise, de rupture.
Armé d'un pèse-nerfs
à fleur de peau et qu'on dirait toujours sur le
point d'irrémédiablement se détraquer,
il aggrave sans relâche sa recherche,
l'aiguise jusqu'à l'effroi. Sa langue,
inquiétée de toutes parts, fore le
sans-réponse, le sans-issue du sens, au risque de saigner la
tête à blanc.
Aussi son observation du
« rêve »
consiste-t-elle surtout en une
auscultation maniaque, terrifiée, de ce (mauvais)
rêve éveillé qu'est vivre,
qu'il perçoit avec une précision proprement affolante
: dans toute son
irréductible complexité, son
inquiétante impermanence, son
étrangeté presque
inhumaine.
Richard Weiner écrit en tchèque. La langue
qu'il s'est forgée pour cette expérience
littéraire extrême qui est la sienne,
est d'une complexité rare – à la mesure
de celle des phénomènes qu'il entend
décrire, ou traquer par l'écriture. Sa
poésie, l'une des plus importantes qui
se soient écrites en langue tchèque, est
réputée, hélas, intraduisible.
Trois livres de prose existent cependant en
version française :
La chaise
vide,
traduit par VR
& JCS, Fissile.
Le barbier, traduit par Erika
Abrams, éditions
de la Différence.
Jeu pour de vrai, traduit par Erika
Abrams, éditions de la Différence.
Chez
fissile,
Le Grand Jeu - Correspondances croisées (1927-1937) entre Richard Weiner et les membres du groupe Le Grand Jeu (René Daumal, Roger Vailland, Pierre Minet, Maurice Henry,
Arthur Harfaux, Josef Šima). Ce livre est le fruit de
plusieurs années de recherches dans les archives
tchèques et françaises.
Un
travail réalisé par Erika Abrams et Billy Dranty, qui met au jour
des centaines de lettres et de documents inédits. Le tout
est accompagné d'une iconographie importante, pour un volume
total de 568 pages.
C. D.